1 - Les
procès dans l'histoire du biberon
Troisième
partie : Goguey (Darbo) VS ... Robert
Ou comment
Robert faute d'être précurseur en inventions l'est en pratiques commerciales
douteuses, certains diront "novatrices" et devient fer de lance d'une publicité ou réclame mensongère...
Et comment les concurrents de Robert, bien qu'utilisant parfois les mêmes
procédés, n'hésitent pas à poursuivre ce dernier, ne rencontrant pas le
même succès, dépassés qu'ils sont par l'agressivité commerciale très
"moderne" du leader...
Rappel
: Dans le bulletin de
novembre
2008, je faisais
allusion à "une très surprenante note de bas de page dans l'ouvrage de E.
Bouchut, "Hygiène de la première enfance", J.B. Baillère, Paris,
1879 aux pages 253 et 254" :
"Nous lisons dans la Gazette officielle de Berlin, 1875
:
"D'après un récent rapport fait par la Faculté de médecine sur la mortalité des enfants élevés par le système artificiel, il a été reconnu à l'unanimité que le biberon dit biberon Robert à soupape était le seul hygiénique et n'épuisant pas les
enfants.
En conséquence, le ministre du commerce arrête :
1° Qu'à partir du 1er novembre 1875, il est fait défense formelle à tous pharmaciens patentés de l'empire de tenir et de vendre d'autres systèmes de biberon que le biberon
Robert.
2° Tout pharmacien est tenu de se conformer au présent arrêté sous peine d'une amende de 500 francs, et qui pourra être portée au double en cas de récidive;
3° Dans tous les hospices ou établissements publics affectés à l'élevage des enfants, il est formellement interdit de mettre en usage d'autres systèmes de biberon que le biberon Robert."
A la lecture
de ce qui suit, on en apprend un peu pus sur les pratiques qui ont permis à
Robert - mais aussi à d'autres, Monchovaut notamment, sans oublier Grandjean - de
développer un commerce des plus florissant à la fin du 19ème...
La plaidoirie
de Me Pataille est un régal, la lecture du texte dans son entier en est
particulièrement recommandée...
Goguey c. Petit
Journal, Petit National et Robert - Tribunal civil de la Seine, 8 février 1877
Publicité
pour le
Biberon Robert
- 1877
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Article 2327 -
Annonces et réclames - Faits inexacts - Action principale contre les
journaux et action en garantie de ces derniers contre l'auteur de la
réclame - Les biberons Robert.
Me Pataille, avocat de
M. Goguey, expose l'affaire en ces termes :
Le procès fait par M.
Goguey à deux des journaux les plus répandus de Paris intéresse au plus
haut point la loyauté commerciale. Il s'agit, au fond, d'une de ces
annonces dites réclames, qui, sous l'apparence d'un article sérieux, se
glissent dans les nouvelles du jour, -- moyennant finances, bien entendu !
-- car c'est l'annonce le plus chère et la mieux rétribuée.
Jusqu'ici j'avais entendu dire que les Américains avaient la palme en ce
genre ; mais je commence à croire que certains industriels français se
sont donné la tâche de les surpasser, et si à l'exposition de 1878 il y
avait un concours international de réclames, M. Robert, la cause
première de ce procès, aurait assurément une grande médaille.
Qu'est M. Robert ? Un
fabricant de biberons à Dijon qui dit avoir inventé le biberon à
soupape et qui veut à tout prix, per fas et nefas - par
le juste et l'injuste -, faire passer son biberon pour le meilleur
des biberons passés, présents et futurs.
Je ne veux pas, le
tribunal le comprend, faire ici une conférence sur les biberons. Ce n'est
pas le procès. Je me borne à indiquer, pour l'intelligence des annonces
que je critique, qu'il y a deux systèmes bien distincts de biberon.
L'un consiste à
imiter, autant que possible, le sein maternel, c'est un biberon complètement
fermé dans lequel on évite l'introduction de l'air comme altérant le
lait. [...] Le second système repose sur une idée diamétralement
opposée, on facilite la succion de l'enfant et pour cela on recourt à un
tube moitié cristal, moitié caoutchouc, qui remplit le rôle d'un siphon.[...]
Je n'examine pas si cette méthode n'a pas l'immense inconvénient de trop
forcer la nourriture ; tout ce que je constate, c'est que c'est dans ce
système de biberons que rentre celui pour lequel M. Robert a pris un
brevet. Il a voulu se faire passer pour l'inventeur du biberon à soupape,
[...] et il a perdu son procès par arrêt de la cour de Dijon du 9
février 1876 - cf. bulletin d'octobre.
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Boite
"médaillée" du
Biberon Robert
Les deux journaux
poursuivis
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Cela ne l'a pas
empêché de continuer ses annonces et réclames où il vantait son biberon
à l'égal de la machine à vapeur de Papin. Tant qu'il est resté dans les
généralités, ses concurrents n'ont rien dit ; mais il est arrivé à
faire publier dans les journaux des réclames mensongères telles que celle
que nous déférons au tribunal et ainsi conçue :
"Nous lisons dans la Gazette officielle de Berlin, 1875
: [...] - cf. plus haut
Cet article a paru dans "le
Petit Journal" du 24 octobre 1875, et dans "le Petit
National" du 28 novembre, au milieu de faits étrangers, et, comme si
cela n'était pas assez, le Journal de la Côte d'Or" qui l'avait
reproduit, y ajoutait de son cru : " Nous félicitons notre compatriote
de cette haute marque de distinction, qui prouve une fois de plus que si les
Prussiens nous ont vaincus sur le champs de bataille, ils sont forcés de
reconnaître leurs maîtres dans les travaux pacifiques de
l'industrie."
A propos de biberons !!! Il y a des
limites à tout et cela devenait trop fort. Un certain nombre de fabricants
se sont émus des agissements de M. Robert et ont résolu de s'adresser aux
tribunaux. M. Goguey, l'un d'eux, le successeur de M. Darbo, a voulu savoir
ce qu'il y avait de vrai ou faux dans tout cela et il a, dès le 3 novembre
1875, fait sommation au "Petit Journal" d'avoir à indiquer le
numéro de "la Gazette de Berlin" où il avait lu cet article.
"Le Petit Journal" n'a pas répondu à la sommation, mais avant de
commencer le procès, M. Goguey a écrit au "Journal officiel de
Berlin" et à l'ambassade.
Le "Journal
officiel" a répondu qu'il n'avait jamais rien publié de pareil, et
l'ambassade, qu'aucun décret de ce genre n'avait ét et n'avait pu être
rendu, les pharmaciens allemands ne s'occupant pas de la vente des biberons.
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Publicité
extraite du
Catalogue
général descriptif de l'exposition. Section française. 1878
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[...]cette réclame attribuée à la
"Gazette de Berlin" n'est qu'un échantillon des mille assertions
mensongères de M. Robert. Je n'en citerai que trois ou quatre.
M. Robert annonce partout annonce
partout qu'il est le seul à avoir obtenue une grande médaille à
l'exposition de la Société protectrice de l'enfance de Marseille. Eh bien
! Voici le rapport officiel. Il n'a pas été le seul médaillé, puisque
deux autres exposants, MM Roussin et Jutet, ont obtenu, l'un une médaille
d'or, l'autre une médaille d'argent. Il n'a pas eu la grande médaille ; à
moins qu'il n'ait entendu dire que sa médaille, étant de bronze, était
plus grande et plus grosse que celles d'or et d'argent !!!
[...] M. Robert publie partout qu'il
est le seul ayant obtenu la médaille et le diplôme d'honneur à
l'exposition universelle et internationale de la ville de Paris ! Tout le
monde doit croire qu'il s'agit de la grande exposition de 1867 ? Et bien,
non ! Car le biberon Robert n'était pas né.
"Annales
de la propriété industrielle, artistique et littéraire", Paris, 1877
Robert sera encore
une fois condamné...
Ceci ne l'empêchera
pas de continuer à publier ce genre de publicités, comme le prouve ce
document extrait du catalogue de l'Exposition universelle qui s'est tenue
à Paris en 1878...
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