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L'aventure A. GRANDJEAN

(Merci à Jean-Pierre Deschamps pour ses avis et documents)

Introduction

Si le Biberon ROBERT reste aujourd'hui une référence, il est très surprenant que son "challenger" de l'époque soit si peu resté dans les esprits. Les biberons GRANDJEAN sont peu présents dans les ouvrages de référence alors qu'ils le sont dans les collections... Ainsi dans le livre de MC Delahaye, ils n'apparaissent qu'au travers de deux publicités, pages 78 et 89, et le carton de la page 89 n'évoque que les biberons et tétines SEEVAGEN (société qui succède à la maison GRANDJEAN). Pire encore, la collection, pourtant très fournie du Docteur Dufour, n'en fait même pas mention...

1 - A. GRANDJEAN le lorrain

Les biberons GRANDJEAN sont contemporains des biberons ROBERT, on trouve des modèles assez proches chez les deux concurrents. Si l'on se réfère à un ancien document dactylographié Sauvigny sur Meuse a accueilli la fabrique Grandjean en 1872 :

« En 1872, un industriel est venu s'installer à Sauvigny. C'est un fabricant de biberons. Son industrie a prospéré ; ses produits ont été couronnés dans plusieurs salons et concours. M Grandjean achète la bouteille en verre, fabrique le bouchon et y place les tubes aspirateurs selon le système qu'il a lui-même inventé et pour lequel il a un brevet d'invention. Ses produits sont expédiés d'abord en France, puis en Angleterre, en Espagne, aux États-Unis, etc. Ses biberons sont réputés les meilleurs comme fatiguant moins la poitrine des enfants. Aussitôt que le bébé a placé à sa bouche l'extrémité du tuyau, une simple aspiration fait monter le lait et le jet continue sans nouvel effort.  (...) La tradition orale prétend que les fioles de verre étaient fabriquées à Sauvigny, ce qui contredit les écrits d'un contemporain du pays. »6

La fabrique s'est donc d'abord contentée de fabriquer des bouchons estampillés A. Grandjean et d'assembler les différents éléments du biberon, les flacons de verre étant moulés ailleurs. Pourquoi les indications "Vosges" ou encore "Epinal" sur certains modèles ? Si l'on s'attarde sur les inscriptions des modèles limande à bouchon vissé et flacon type 1873, on peut imaginer plusieurs scénarios concernant l'implantation géographique de l'entreprise.  Un biberon de la marque du type ROBERT 1873 porte les inscriptions "Ville d'Épinal" (Vosges) et "Ville de Bar-le-duc" (Meuse). L'allure générale de ce biberon est indéniablement copiée sur le "1873" de ROBERT, on est ici dans un procédé proche de la "contrefaçon" tant dans la décoration "à médaille" que dans le texte qui met en avant deux villes (lorraines ici)... Grandjean aurait donc, et c'est le plus probable, souhaité imiter le "1873" en produisant un modèle qui souligne des prix obtenus dans les villes d'Épinal et de Bar-le-duc, comme ROBERT le faisait sur son 1873 avec Paris et Marseille...

Biberon type 1873 - Long tuyau 1

Biberon à bouchon en verre vissé - Long tuyau

Biberon de type limande tardive

Le limande sanitaire vosgien

Concernant le terme "Vosgien", Jean-Pierre Deschamps émet l'hypothèse suivante :

« Comme Grandjean faisait faire les bouteilles, il est vraisemblable que celles-ci ont été fabriquées dans les Vosges, ce qui peut expliquer qu'à certains moments le biberon se soit appelé "nourricier vosgien". Une autre explication est que les Vosges, avec leurs montagnes (même si les Vosges proches de Sauvigny sont dans ce que les Vosgiens appellent la "plaine") et leurs nombreuses stations thermales avaient à la fin du XX° siècle une réputation de lieu de bonne santé, ce qui pouvait constituer un argument publicitaire intéressant pour des biberons.... »

Quelle aura été l'influence de la guerre de 1870 et du traité de Francfort dans cette localisation multiple ? Difficile à dire, la fin du XIXème est une période compliquée pour la Loraine dont certains territoires se trouvent annexés... 

Jean-Pierre D. évoque lui aussi les turpitudes historique de cette région :

« Sauvigny est en Meuse, à la frontière des Vosges et de la Meuse, marquée par le cours de la Meuse, tout près de Domrémy, le village natal de Jeanne d'Arc. Le cours changeant de la rivière a fait qu'au cours de l'histoire, certains villages meusiens ont été rattachés aux Vosges et vice versa. »

2 - Des flacons à long tuyau aux nourriciers meusiens

Publicité - 1905 à 1920 2

C'est donc avec le long tuyau que Grandjean commence sa production de biberons. Il semble avoir déposé un modèle spécifique (évoqué plus haut) dont la description évoque un autre système, lui aussi breveté, le biberon à pompe H. Monchovaut. Grandjean inventeur du biberon pompe ? Peu probable.

Le modèle bouteille en verre simple, dont le bouchon percé pour recevoir le fameux tuyau porte l'inscription GRANDJEAN Déposé, et un autre à bouchon de liège, ne laissent aucun doute sur leur utilisation. La limande vosgienne associée au long tuyau est quant à elle peu probable. Une publicité (reproduite ci-dessous) présente ce biberon avec tétine.

GRANDJEAN n'a pas la notoriété de ROBERT à la fin du 19ème siècle et malgré ses efforts commerciaux, biberons de poupées, publicités, il ne parvient pas à s'imposer sur le créneau du biberon à long tuyau. Ce relatif échec lui évitera du même coup de se trouver associé à ce modèle infanticide. C'est ce qui explique son succès du début 20ème, notamment après l'interdiction définitive des "biberons tueurs". Sa reconversion dans le sabot se fera aisément et la maison GRANDJEAN s'éloignera de ROBERT pour développer une gamme de nourriciers tout en abandonnant ses modèles plus anciens...

Une publicité datée de 1905 ou 1920 (selon les sources) présente 3 modèles, du  plus récent "Le nourricier incomparable" au plus ancien "Le Limande Vosgien" en passant par le plus simple "Le Nourricier Meusien"... Vient s'ajouter un quatrième biberon, le "Seule Tétée", présenté comme "employé dans toutes les crèches maternelles". Ils seront tous brevetés par GRANDJEAN au début du 20ème siècle. Ces quatre modèles ont un point commun, une "Prise d'air capillaire". Le procédé de régulation d'air n'est pas unique puisque la soupape arrière de la marque "Le Parfait nourricier" et la soupape ventrale du biberon "Limande perfectionné" de ROBERT proposent également ce genre d'innovation. GRANDJEAN se singularise pourtant par un système en verre intégré au flacon alors que ses concurrents proposent un système avec soupape caoutchouc et métal amovible.

A : Le limande sanitaire vosgien B : Le nourricier incomparable C : Le nourricier meusien D : Perfectionné E : Biberon d'une seule tétée

Revenons sur les quatre spécimens. La commercialisation du limande sanitaire "fera long feu" comme le prouve son absence du carton publicitaire reproduit en bas de page. "Le Nourricier Meusien" et évidemment le "Nourricier Incomparable" reprennent l'idée du "Parfait Nourricier". Enfin le "Seule tétée" est en fait un "Nourricier Meusien" commercialement adapté pour le marché de la petite enfance dont il serait le fer de lance... Il ne faut  évidemment voir ici qu'un argumentaire purement commercial... D'autres marques iront encore plus loin dans ce domaine puisqu'on trouve un modèle déposé comme  "Biberon des crèches"...

On note ici une différence fondamentale entre ROBERT et GRANDJEAN : si le premier faisait tout pour être une référence, en oubliant quelquefois d'évoluer, le second passe d'une innovation à l'autre sans jamais réellement s'en emparer. Voilà sans doute un autre élément qui explique le relatif oubli de la marque... 

3 - Disparition

Au début des années 20, la maison va déménager à Paris et la mention A. GRANDJEAN Sauvigny fera place à A. GRANDJEAN PARIS. Ce déménagement vers la capitale est probablement le dernier sursaut d’une entreprise, qui comme son concurrent, et pour les mêmes raisons, ne réussira pas à passer au "Stérilisateur". On voit bien ce refus sur le carton publicitaire (4) où le terme bien que présent se trouve tout en bas, séparé du reste, avec une graphie noire et italique alors que les différents biberons sont indiqués en rouge...

C’est au cours de cette même période que la marque GRANDJEAN va être distribuée par la société SEEVAGEN. Rapidement, ce qui n'apparaît  qu'entre parenthèses dans la publicité de 1905/1920 (Sté Seévagen succ.) va supplanter l'ancienne appellation. Seévagen propose la même chose que le catalogue ROBERT, mais les produits continuent à être proposés sous leurs anciennes marques.

3

Cette société, située 4 rue du trésor à Paris, semble commercialiser plusieurs fabricants, GRANDJEAN bien sûr, mais aussi Excelsior, Bébé et Nourricier. Les biberons dont il est question sur le panneau ont-ils déjà perdus leur appellation Grandjean ? C’est peut-être ce qui expliquerait l’existence de ces nourriciers, meusiens et incomparables, de marque « J. Bachelet Paris », dans un catalogue pharmaceutique de 1920. On ne peut soupçonner une liberté prise par le pharmacien puisque sur la même page on trouve des nourriciers estampillés Robert. Le fabricant Clément Geny propose quant à lui un modèle copié sur le limande hygiénique avec prise d’air capillaire dans son catalogue 1901…

Conclusion

Contrairement à son homologue, il n'est pas simple de retracer l'histoire de GRANDJEAN, par manque de sources, bien sûr, mais aussi, et peut-être surtout par la nature même de l'entreprise... ROBERT à souffert de son image et GRANDJEAN de sa non image. L'un et l'autre auront pourtant été des acteurs majeurs de l'industrie naissante du biberon et auront contribué à son évolution...

4 - Images et documents

4

  7a  7b

1 - Exposition industrielle et commerciale - Médaille vermeille

2 - Image extraite de MC Delahaye Tétons et Tétines  page 78

3 - Image extraite de MC Delahaye Tétons et Tétines  page 89

4 - Carton publicitaire 1910-1920

5a et 5b - Biberons de poupée

6 - Envoi de J.P. Deschamps